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  • Tim Guillois

Mindset made in India


Coumar ANANDA


Nous avons la chance de naître dans un lieu et un pays que nous ne choisissons pas! Nous naissons aussi avec cette belle capacité à se transformer et à se réinventer en autant d’avatars. Notre paramétrage, notre configuration et notre conditionnement peuvent être réalisés selon des manières et des méthodes infinies. Autant d’ordinateurs individuels avec des systèmes, des logiciels, des virus…des bugs et des problèmes de compatibilités dès lors qu’ils doivent se connecter et communiquer ensemble.

Je définirais le mindset comme la manière de percevoir, de penser et d’agir, résultant des paramètres statiques et dynamiques de l’individu.

Belle intuition de la langue française! Le mot anglais «mindset» est traduit en français bien souvent comme « état d’esprit », faisant référence à une notion qui est plus large que la simple fonction cérébrale du cerveau. Très récemment les chercheurs ont démontré que notre cœur avait également une fonction cérébrale, moins binaire que le cerveau, et qu’il peut nous aider à faire des choix plus holistiques. L’état d’esprit est en réalité une notion dynamique, qui est d’ordre comportemental, du savoir être et moins d’un savoir-faire. Or le mindset anglo-saxon a une connotation orientée sur le savoir-faire. Ainsi aujourd’hui on parle de growth mindset, entrepreneur mindset, sales mindset, investor mindset…comme des compétences à acquérir pour exceller dans une fonction donnée.

Le mindset, son paramétrage, sa configuration, son conditionnement, se fait pour une grande partie pendant l’enfance. Il s’agit d’une phase primordiale où le langage va façonner l’individu dès son plus jeune âge.

Nous savons aujourd’hui combien le cerveau est sophistiqué, mais malgré tout il ne connaît pas la négation! Le cerveau ne sait pas s’interdire! Lorsque l’on dit à un individu de ne pas regarder le soleil, son cerveau projette d’abord le soleil. Le cerveau de l’enfant est capable de voir dans les objets et son environnement quotidien des images et des représentations illimités: détourner une fourchette en catapulte, voir dans une boîte à chaussure une voiture,… se représenter en roi ou en reine. Une fois atteint l’âge adulte, cette créativité spontanée du cerveau semble être préservée pour certains, perdue pour d’autres.

Les fondamentaux de son mindset se dessinent dès ses premières années. Selon les contextes dans lesquels l’éducation de l’enfant s’opère, le mindset peut prendre plusieurs formes. L’éducation en Inde et en France s’opérant dans des contextes culturels, économiques et sociaux bien différents, le mindset indien et français sont différents.

Derrière le cliché de l’indien qui dit oui avec ce mouvement ambigu de la tête, se cache en effet son mindset et dans la clarté du non et du oui du français se trouve sa marque de fabrication, son paramétrage en dur.

L’éducation de l’enfant par le oui d’une manière plus ancrée dans les civilisations de l’Asie et l’éducation par le non en France prépare ces enfants à opérer et survivre dans deux contextes différents. Une logique circulaire versus une logique binaire. Une logique qui opère dans des frontières floues, une autre avec des frontières tranchées.

L’éducation de l’enfant en Inde se fait dans un monde incertain. Dès lors que l’enfant franchit le palier de son foyer, il est confronté à un univers imprévisible, où les risques ne peuvent pas être anticipés et évités, mais appréhendés et traités sur le champ. Or l’enfant en France évolue dans un environnement normé, balisé et relativement stable.

La circulation dans un pays est un bon indicateur de son mindset, elle nous renseigne sur comment les individus circulent, s’ajustent pour avancer dans leur quotidien. En France, la circulation, le déplacement, les mouvements des individus en dehors de leur foyer sont réglementés, normés, balisés…il y a une place pour un piéton, une place pour un vélo, on peut aller vite par ici, de l’autre côté de la route on doit doubler de vitesse, chaque geste et mouvement sont codifiés, acceptés et anticipés par les individus. Sinon c’est l’anarchie dit-on.

Or en Inde cette extrême normalisation et codification des mouvements des individus peut paralyser le pays, privant les individus d’avancer, de traiter le risque quand il se présente. La logique occidentale, qui répond aux besoins de contrôler, d’anticiper et gérer les risques est bien souvent étrangère en Inde.

L’éducation par le non en France, « non tu n’as pas le droit de, non tu ne peux pas, non tu n’as pas raison, non tu ne dois pas… » est un langage structurant l’action du cerveau, qui fonctionne à merveille dans un contexte prédictif. Cependant l’individu est élevé avec une grande liberté d’expression de ses sentiments et émotions. La pression morale du foyer y est relativement plus faible qu’en Inde. Les enfants évoluent dans des terrains où les règles du jeu sont plutôt claires et définies.

En Inde, l’éducation par « le oui », où l’enfant est libre d’agir, sans un formatage par un non catégorique, prépare l’individu à un environnement incertain. L’individu est préparé à rester alerte et détecter les signaux de son contexte et traiter les risques dès qu’ils se matérialisent. Cependant la pression sociale et morale du groupe familial exerce sur l’individu un tout autre formatage quant à l’adoption et la réplication des normes sociales au sein du foyer. Les individus naviguent dans des environnements ambiguës.

Si nous faisons le parallèle avec la circulation, un conducteur chevronné en France, ne peut absolument pas conduire en Inde. Ce parallèle illustre bien le mindset, le formatage des individus pour opérer dans un contexte donné.

Si l’on parle aujourd’hui autant du mindset comme une clé de la réussite, c’est parce que la France est aujourd’hui dans une ère d’incertitude, où le paramétrage, la configuration des individus selon des méthodes et processus hérités depuis des décennies d’industrialisation, de standardisation des individus pour opérer dans une France prospère, ne fait plus recette. Un reformatage, un reboot des mindsets s’imposent.

L’industrialisation a sur-valorisé une forme d’éducation, formant des individus pour occuper des postes dans des organisations, suspendus à un salaire. Or nous sommes nés pour réaliser bien d’autres choses merveilleuses avec notre cœur et l’intelligence de nos mains. L’éducation moderne a produit des êtres incomplets, qui cherchent désespérément au quotidien à donner un sens à leur travail…on est loin de l’éducation de la femme ou de l’homme de la Renaissance…qui formait des “human being” et non des “human doing”.

Le contexte a changé, la récession, la globalisation, la confrontation avec des cultures, challengent le statu quo du mindset français. Pas d’action sans compréhension et maîtrise des risques pour un français, alors qu’un indien se lancera plus naturellement dans l’action sans nécessairement conditionner son action à la maîtrise préalable des éventuels risques.

Les études ont démontré que les deux mindset ont leurs mérites et leurs limites.

Dans la phase de démarrage de l’entreprenariat, le mindset de l’individu Indien lui permet de se lancer sans peur d’échouer. Les CV des jeunes indiens ont souvent été à ce titre qualifiés de CV curry, du fait de l’accumulation de toutes sortes d’expériences sans cohérence apparente.

Alors que dans le modèle Français, le parcours sans faute, et sa cohérence sont privilégiés et valorisés, longtemps l’entreprenariat des personnes modestes étaient considérés comme des petits boulots à échecs répétitifs, l’entreprenariat avec un grande « E » étaient réservés pour les fortunés, les élites, qui avaient tout les moyens pour réussir, la fiscalité de l’entreprenariat en France en est un bon reflet.

Le mindset français permet cependant quand le contexte est certain, une fois la phase de démarrage passée, de mener des grands projets, d’exécuter avec précision et d’exceller. Pas étonnant qu’en France chaque secteur de l’industrie et des services dispose d’un champion mondial, une situation unique dans le monde.

Dans le contexte actuel où la croissance fait défaut, le growth mindset est une culture que toute entreprise cherche désespérément à insuffler aux équipes.

Alors que les dirigeants indiens se fixent des objectifs perçus comme irréalistes, galvanisent les équipes pour se lancer dans l’aventure sans peur d’échouer, les dirigeants français cherchent à atteindre des objectifs réalistes. D’ailleurs il est à noter que la jurisprudence Française interdit de donner des objectifs inatteignables aux salariés. Quand pour un indien tout est possible tant qu’il n’a pas échoué, un français anticipe l’échec en se référant à son passé: rien de plus frustrant pour un dirigeant indien d’entendre en France que… “ce n’est pas possible”, “ça ne marchera pas”, “vous allez prendre le mur”, “c’est irréaliste, ça ne marche pas comme cela en France”…

De l’autre côté, quand les indiens se lancent dans leurs entreprises, sans aucune idée des résultats, sans aucune appréhension, les dirigeants ou les collaborateurs français sont souvent terrifiés, crispés et se mettent en situation d’observation et de doute.

Dans les dix dernières années en France, l’entreprenariat des jeunes et des plus modestes est devenu un modèle de réussite.

Traditionnellement, en Inde les élèves brillants rêvaient d’entreprises et d’entreprendre après quelques années d’expériences. En France, les élèves brillants rêvaient d’un passage en politique ou de quelques années comme haut fonctionnaire avant de prendre la tête d’une entreprise publique ou privée.

Aujourd’hui les modèles évoluent, les schémas de réussite changent et la jeunesse indienne et française sont plutôt sur les mêmes modèles. Personne ne rêve de devenir un politicien ou un haut fonctionnaire, mais plutôt d’être un entrepreneur, créer une licorne et devenir un millionnaire.


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